Olivier Delétoille – Expert-Comptable et Commissaire aux comptes
Selon la Loi de finances pour 2022, les fonds de commerce acquis entre 2022 et 2025 peuvent être amortis sur 10 ans dans les comptes. Cette mesure optionnelle est sans conteste une vraie aubaine fiscale pour les acquéreurs. Mais quelles sont les conséquences du côté des vendeurs ? Y-a t-il un vent spéculatif intéressant les ventes de fonds au détriment des cessions de titres de SEL à l’IS (impôt sociétés) ? Par ailleurs au plan fiscal, les impacts sont-ils différents selon les régimes d’imposition des pharmaciens (exercice à l’impôt sur les revenus ou à l’impôt sur les sociétés ?), les profils des associés sortants, exploitants ou investisseurs, en partance ou non à la retraite ? Cette voie occasionne-t-elle un surcoût pour les vendeurs ou, au contraire, peuvent-ils en retirer un certain avantage ?
Passé la période des doutes et d’agitation des «chiffons rouges» (voir notre article publié dans Magazine PHARMA N°200 – Octobre 2022 «l’amortissement du fonds commercial : une aubaine à gérer avec doigté»), les professionnels du chiffre et les fiscalistes s’accordent presque unanimement sur les avantages tout à fait substantiels pour les acquéreurs d’opter pour l’amortissement du fonds de commerce.
Ainsi il est peu probable qu’ils écartent cette option en pratique. Mais du côté des vendeurs les situations sont très variées, entre ceux qui exercent à l’impôt sur le revenu où à l’impôt sur les sociétés, seuls ou en association, en partance à la retraite ou non….
« Pas de sujet » pour les pharmaciens vendeurs exerçant à l’impôt sur les revenus
Impact pour les sociétés soumises à l’impôt sociétés (IS)
Déjà les convergences d’intérêts ne poseront aucunes difficultés lorsque le pharmacien vendeur exercera en entreprise individuelle. Aucune autre alternative que la vente du fonds n’étant d’ailleurs possible pour lui. Il en sera de même presque toujours pour les pharmaciens exerçant en société soumise à l’impôt sur les revenus.
La réflexion assez technique concerne en réalité les pharmaciens exerçant en société soumise à l’impôt sociétés, l’alternative étant de comparer la cession des titres, largement usitée depuis 2013 avec la mise en place des SPF-PL notamment, avec celle de la vente du fonds. Plusieurs scénarii se présenteront avec d’abord un impact pour la société et, ensuite, pour le ou les associés.
La société peut dégager une moins-value sur la vente du fonds.
Elle pourrait alors s’imputer sur les bénéfices de l’exercice comptable de la vente et/ou contribuerait à la formation d’un déficit reportable dans les conditions de droit commun sur les bénéfices futurs de la société cédante, si le ou les associés décident de se porter acquéreur d’un autre fonds dans un délai raisonnable. C’est un vrai avantage.
A l’inverse si une plus-value est constatée, celle-ci est imposée à l’impôt sociétés et la vente du fonds peut être rédhibitoire pour le pharmacien sortant (un fonds de commerce revendu 2 millions d’€ alors qu’il est inscrit à l’actif du bilan de la société pour 1.2 million, génèrerait une plus-value de 800 000 € taxable au taux de 25 %, soit un surcoût réel d’IS de 200 000 € !).
Impact pour le ou les associés de sociétés soumises à l’IS
Si la voie de la vente du fonds est retenue, les associés ont alors plusieurs alternatives.
D’abord, comme évoqué plus haut, ils peuvent conserver la société pour poursuivre leurs activités professionnelles, en SEL dans un projet de rachat d’un autre fonds ou en SPF-PL en cas de participation au capital d’une ou plusieurs autres SEL (dans cette dernière hypothèse, en cas de moins-value sur la vente du fonds, le déficit serait non reportable du fait du changement d’activité).
Par ailleurs un des associés peut sortir par voie de rachat de ses titres par la société elle-même. Dans cette hypothèse l’associé personne physique concernée paiera l’impôt sur les plus-values (la différence entre le prix de cession de ses titres et leur prix de revient) au taux de 30 % (soit la « flat tax » englobant une imposition forfaitaire de 12.8 % et les contributions sociales au taux de 17.2 %). A noter que jusque fin 2024 en cas de départ à la retraite, l’imposition forfaitaire n’est taxée que pour les plus-values dépassant 500 000 €, soit une économie maximale de 64 000 € (500 000 € x 12.8 %).
Enfin, le scénario onéreux concernerait les associés personnes physiques liquidant immédiatement la société après avoir vendu le fonds pour récupérer à titre personnel ses liquidités. Alors, par un tour de magie dont les textes fiscaux et sociaux ont le secret, la sémantique et les taxations changent.
Au lieu d’une « plus-value », il sera calculé un « boni de liquidation », s’apparentant à des dividendes, sur lequel sera calculé :
- Un droit de partage de 2.5 % ;
- Des charges sociales TNS (Travailleur non salarié) si le boni de liquidation dépasse 10 % du montant du capital et des sommes laissées en compte courant ;
Ces charges peuvent naturellement être provisionnées et impacter à la baisse le boni de liquidation.
- Et la flat tax pour laquelle il n’apparaîtra pas possible de bénéficier de l’exonération partielle liée à un départ à la retraite.
Il faudra veiller ici à ce que les contributions sociales (CSG et CRDS déductibles et non déductibles) déjà payées au titre des charges sociales sur dividendes évoquées précédemment, ne le soient pas à nouveau au titre de la flat tax.
Dans un tel contexte il pourrait être préconisé au(x) dirigeant(s) de la société qui a vendu le fonds, de la conserver, puis de la transformer à terme en société civile ou SAS, qui deviendrait alors un outil de gestion patrimoniale, la conduisant à réaliser des investissements mobiliers ou immobiliers productifs de revenus.
Avec de l’anticipation, les multiples voies de sorties envisageables allégeront très légitimement la succession de tribus fiscaux et sociaux confiscatoires évoqués ici, et une convergence d’intérêt pourrait être trouvée entre les parties, aidées de leurs conseils.